Voyages de Claude Lamarche et de Louise Falstrault
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Dans la froidure d’un après-midi de novembre, annonce de l’hiver qui venait, Lucie monta enfin dans l’avion de Royal Air Maroc, en retard d’une heure.  Enfin. Trente ans auparavant, à l’Expo ’67 tenue à Montréal, sa mère avait gagné un voyage dans ce pays méconnu alors. Pour réussir le concours, elle avait dû rédiger une composition, répondre à des questions, affronter une bonne dizaine de concurrents. Ses trois enfants, dont l’aînée Lucie, lui avaient fait apprendre ses leçons, lui avaient apporté de la documentation, étaient retournés cent fois avec leur mère dans le pavillon blanc au toit plat, aux grandes portes dorées. En fait, un bâtiment peut-être à l’image des maisons tunisiennes, personne n’en savait rien encore, mais plutôt austère comparé aux rondeurs du pavillon vitré des États-Unis ou des élégantes pointes de celui de la France. Au retour du voyage de sa mère, Lucie a revu maintes et maintes fois les films en 16 millimètres qui montraient les villages, le désert, les artisans, les souks. Lucie savait qu’elle se rendrait un jour dans ce pays africain. Elle y était enfin.


Pendant trois semaines, elle fit un voyage tout ce qu’il y a de plus touristique. Un forfait comprenant l'hôtel quatre étoiles, les buffets aux mets sucrés et colorés, la piscine chauffée, la Méditerranée à ses pieds, si bleutée, si calme en comparaison avec la sauvage Atlantique. Six excursions la mèneraient aux confins de ce pays à l'histoire beaucoup plus longue que les quatre cents ans du sien. Au début, elle se voyait dans les films et les récits de sa mère. Puis, un matin, elle s’aperçut que c’était elle qui voyageait, ici et maintenant. Les images devenaient de vrais lieux, le son avait l’accent d’une voix d’une vraie personne. Son voyage à elle commençait. Même si elle était accompagnée de cinquante autres passagers dans le grand autobus bleu.

Après l’île de Djerba, en route vers les maisons troglodytes de Matmata, le visage de la Tunisie lui renvoya des scènes de films sur Jésus-Christ. Des tons de terre séchée. Paradoxalement à la dureté des pierres et la rugosité des pitons rocheux, une douceur incroyable dans les couleurs du sable. Un océan de sable. Une mer dorée, mordorée. Un horizon où se diluent tous les soucis. Un lieu sec et aride que le soleil, à l’aurore et au crépuscule, en même temps que les prières musulmanes, étreint de sa lumière rosacée.


À l’aube du troisième jour de son voyage, entre Douz et Tozeur, l’éclatante blancheur créait des mirages sur les grandes étendues croûtées : le lac salé El Jerid apparaissait à mesure que l’eau se retirait. Là où les nomades ne marchaient plus, ne montaient plus leurs tentes.  Le guide Anis, de son accent encore plus irrésistible que ses longs cils courbés, annonça : « des terres brûlées par le sel ». Quelques heures auparavant, il avait raconté l’histoire de la reine Dihya qui, pour lutter contre l’invasion musulmane en l’année 697, avait choisi de brûler toutes les terres convoitées plutôt que de les voir envahies sans résistance.


Près des oasis et des palmeraies, des sédentaires courent. Si la pluie s’annonce, il faudra labourer, faire pénétrer le peu d’eau que le ciel voudra bien envoyer au sol.


Il ne pleut pas. Le silence et le soleil aspirent l’humidité, l’eau recouvre la terre desséchée, puis, à mesure que le soleil monte derrière les montagnes du Moyen Atlas, le sel s’accumule. D’où les mirages, cette impression d’ondulations lointaines, d’où le lac salé au milieu du désert qui appelle l’oasis, le palmier dattier et la caravane.


Au milieu de ce grand chott, l’autobus s’arrêta. Un marchand fait croire que les géodes contiennent réellement des améthystes. Le cœur battant, Lucie aurait voulu, en foulant le sol, sentir le nomade qui espère la pluie, le berbère qui cherche l’oasis. Bombardée d’informations, mêlée au vacarme des conversations, elle n’était qu’une touriste, ni la première ni la dernière. Lucie tenta de s’éloigner du groupe, de se retrouver seule avec cette immensité, terre nourricière de tous les humains. Dire merci à celle qui n’est ni musulmane ni chrétienne, qui n’est ni pays ni continent. Seulement un univers ébloui par le soleil. Elle dut remonter dans l’autobus, se réjouir de voir les roses de sable que sa voisine avait achetées chez le marchand vendeur de rêves.


Une fois assise sur le dromadaire qu’une jeune chamelier lui avait assigné, la nervosité lui tenait lieu d’émotions. Les acolytes qui l’accompagnaient, se mirent en verve de lancer des blagues sur la façon de marcher des dromadaires, la façon de sortir leur énorme langue, de baver. Que ne se taisaient-ils pas ! Le temps de sentir le moment important, le climax du voyage, cette aventure dans le désert dont tous les touristes rêvent. Elle dut se rendre à l’évidence : tous les voyages ne sont pas des périples au somment d’une montagne intérieure ou des traversées entre crêtes et creux des vagues d’une mer intime.


Lucie avait chaud, elle suait sous sa djellaba de touriste.  Coiffée de son chèche de ce bleu typiquement tunisien, juste pour la photo, bercée par le rythme lent et régulier du dromelon, elle n’avait d’autre choix que de suivre la caravane. Au beau milieu d’un décor de film, le jeune guide ordonna à la grande bête de s’agenouiller tout en douceur et elle rejoignit les touristes qui s’en donnaient à cœur joie en prenant des photos. Pendant quelques brefs instants, les pieds enfoncés dans le sable fin, elle réussit tout de même à imprimer dans son esprit une image de clair-obscur. Elle se vit auréolée de ce soleil orangé qui déclinait dans les dunes, au milieu de ces centaines de camélidés en longue procession étrangement silencieuse.


Seuls les appels des chameliers réussirent à tirer la voyageuse de cet état hypnotique. Elle remonta sur la selle, tint solidement le harnachement de bois, bascula en arrière puis en avant, revint au monde. Au monde des réalités, des événements sociaux et politiques, aux discussions, aux comparaisons. Aux mots qui racontent et prétendent expliquer.

Le lendemain, visite d'une palmeraie, d'une maison d’architecture tunisienne, dégustation de dattes à s’en rassasier et départ vers les dunes, voir le site qui a servi au film Stars Wars. Lucie ne l’a pas vu. Elle n’est pas venue en Tunisie voir le décor d’un film américain. Elle aurait dû rester à l’hôtel profiter de la piscine.


Puis, en marchant lentement, le guide tunisien entraîna le groupe en haut d’une colline. Le temps était doux, sans vent, sans nuages, ni frais  ni chaud. Parfait. Une température propice à l’émerveillement, à la douceur de vivre.  Visiblement respectueux de cette heure magique où le soleil laisse enfin tranquille la terre desséchée, suivant le rythme des prières du matin et du soir, le guide réussit par le seul son de sa voix chantante à faire taire plus de quarante personnes qui jacassaient et c’est dans le silence le plus complet que l’astre réellement tango baissa lentement, solennellement jusqu’à ce que les dunes s’éteignent, comme la veille, dans un clair-obscur.  En suivant lentement la ligne de l'horizon, pour s’imprégner de l’instant tout autant que du lieu, Lucie s’était sentie fille de touareg, puis femme tout court, puis plus rien. Plus de Québécois qui revendiquaient taxes et langue, plus de blonds Allemands à qui certains en voulaient encore d’avoir aimé Hitler, plus d’Arabes que l’on confond avec les intégristes, plus de musulmans que l’on croit encore polygames, plus de sales capitalistes. Plus d’autos ou de plastique polluants, plus d’effet de serre ou de couche d’ozone. Plus de passeports, plus d’Algérie ou de Lybie tout près. Plus même de mots. Pendant un temps que plus personne n’évaluait, il y eut des humains en contemplation devant leur ancien dieu Soleil qui imposait sa loi et son calme. Dans le plus pur enchantement.


Au retour, dans un état de somnolence due au décalage horaire, Lucie prit un temps de repos pendant lequel elle put rassembler ses idées et ses notes. Comme à tous les retours de voyage, elle oublia les mains baladeuses et les harcèlements dans les souks, les nuages à peine menaçants, la proximité du groupe, elle se mit même à y penser chaque matin en se demandant ce que faisait un tel et si l’autre était retournée travailler. Elle s’aperçut que, finalement, elle avait découvert un lieu nouveau, fut-il fait de terres réellement brûlées il y a des milliers d’années, des terres inondées aussi lors d’une période de pluie étale sur vingt-deux jours, brûlées de sel et de soleil encore chaque jour, qui l’avait menée bien loin de sa Petite-Nation verte, vallonneuse, sablonneuse, lovée dans un pays qui se cherche encore. Elle remercia le ciel de lui avoir permis de gagner quelques semaines sur le temps qui lui était alloué avant de retourner au néant de l’oubli.

  

Nos voyages et nos escapades

Tunisie
au pays des oliviers


22 jours en novembre 2005

  

Texte de fiction inspiré de notre voyage en Tunisie